Arrosée d’une douce clarté lunaire, la boutique diffuse généreusement ses habituelles bouffées de friandises à 1 sou et de fruits charnus qui ont, toute la journée, enivré des hordes furieuses de guêpes et de frelons. Pour contrarier les insectes dans leur obsessive quête crépusculaire, mon père promène les odorants cageots en zigzaguant sur la Place du Pilori, avant de s’engouffrer dare-dare dans le magasin, en claquant la porte au nez et à la barbe des bourdons.
Accroupie devant les bonbons, je prends le temps de choisir les pochettes de bubble-gum assorties de figurines surprises. Je soupèse les sachets, les palpant avec précaution afin de discerner les babioles qu’ils renferment. Le beau billet que ma mère m’a octroyé pour mes menus services dans l’épicerie, leur est voué. Je ne suis vraisemblablement pas d’une aide considérable à mes parents mais je m’acquitte avec plaisir de petites tâches faciles et agréables. À vrai dire, je pense n’avoir effectué convenablement et efficacement qu’une seule besogne : celle de disposer dans les rayons, les fardes de cigarettes fraîchement débarquées du camion de livraison. Le parfum pénétrant du tabac exalte mes narines et il est si simple d’aligner les paquets. J’ai néanmoins la sensation de réaliser un vrai boulot puisque ma mère me gratifie toujours d’une pièce ou d’un billet de 20 francs pour ma peine.
J’ai vécu les dix premières années de mon existence dans l’épicerie Delhaize, juste en face du restaurant Le Pilori. J’en ai préservé des souvenirs, des impressions, des odeurs, des sons, des rêves,… Les lieux étaient étriqués car le magasin occupait la majeure partie de la surface du rez-de-chaussée. Dans les années 60, les supermarchés n’étaient pas légion et dans un village, la petite épicerie était bien suffisante pour se ravitailler. Je me souviens des sacs de charbon entreposés dans la cave, des conserves rangées sur les étagères et de la trancheuse pour le fromage et la charcuterie.
J’ai retrouvé quelques négatifs qui appartenaient à mon grand-père. Je les ai digitalisés. Les clichés sont loin d’être parfaits, la pellicule a, semble-t-il, subi quelques doubles expositions mais on y reconnaît certaines marques qui existent toujours ainsi que leur prix en francs belges, ridicules à nos yeux aujourd’hui.
(Toutes les photos datent du début des années 1960)
Tunnel des amoureux 