Archives du mot-clé chouettes

Le Sacré-Coeur, sacré coeur du Sud

L'église et la place

Sans elle, la Place Cousin n’aurait pas la même physionomie. La Place Cousin ne serait même pas ainsi nommée si elle n’avait pas été érigée. Livrée à l’abandon pendant plusieurs années et finalement désacralisée, l’Église du Sacré-Cœur a été rachetée par la commune d’Ecaussinnes et récemment sécurisée. Sa flèche a cependant été démantelée et son visage a radicalement changé. L’édifice connaîtra dorénavant une autre destinée. Ce qu’elle deviendra ? Rien n’est défini pour l’heure mais en attendant, elle a déjà une vocation d’abri pour les chouettes effraies. Un nichoir y a été aménagé et des caméras ont été installées par Natagora.

Tombée en ruines, elle est pourtant la plus jeune des églises des Ecaussinnes puisque son histoire remonte aux dernières années du XIXe siècle. En juin 1993, l’Abbé Léon Jous a publié un recueil sous l’égide du Cercle d’Information et d’Histoire locale des Ecaussinnes et Henripont : « Histoire de l’Église et de la Paroisse du Sacré-Cœur à Ecaussinnes-Carrières de 1892 à 1992 ». Cet ouvrage de référence de 157 pages livre une analyse approfondie sur l’histoire de la paroisse. Étude dont je m’inspirerai largement pour cet article.

Le Sud : populeux et pieux

En 1870, le quartier du Sud comptait à peine deux ou trois négociants. Le centre commercial était situé autour de la Grand Place, essentiellement dans la Haute Rue (actuellement rue Maurice Canon). Vingt années plus tard, le boom démographique est impressionnant (33 % d’accroissement) et des commerces fleurissent dans le secteur. Les carrières et l’industrie y sont prospères, le chemin de fer est à deux pas et pourtant, ses habitants doivent parcourir un trajet d’une demi-heure à une heure pour aller à la messe, le dimanche. L’idée d’une collecte pour la création d’un lieu de culte au cœur du quartier émerge au début des années 1870 mais c’est vingt ans plus tard qu’elle se verra concrétisée.

Il était de prime abord question de construire l’église dans le chemin des Rivaux (actuelle rue Arthur Pouplier), non loin de la gare. Une liste de souscriptions est lancée et selon ses moyens, chacun y participe, patrons et notables tant qu’ouvriers. L’abbé Jous qui a consulté les archives de la Fabrique d’Église du Sacré-Cœur, y épingle des commentaires insolites des donateurs : « Parfois à côté d’un versement on trouve une note qui aujourd’hui est plutôt humoristique comme : « un catholique militant et opposé à l’Église 10 frs », « un libéral non militant 50 frs », « un bon diâle [NDLR un bon diable] 305 frs pour la porte de l’église ». » Constant Sonneville est désigné en tant qu’architecte principal, Jenet de Seneffe en tant qu’entrepreneur et Félix Ouverleaux comme directeur des travaux. Les dons affluent et les contributions bénévoles manuelles sont zélées. C’est à Léon Cousin, un maître-carrier (oncle de Max Elskamp) qu’on doit partiellement le financement de la construction de l’église

Le 15 septembre 1892, la première pierre est posée sur un terrain de 6 à 7 ares offert gracieusement par les familles Cousin-Baguet et Damiens, et situé à 250 mètres de la station d’Ecaussinnes Sud. « À Ecaussinnes, c’est pour un groupe de population formant une section de 3.000 habitants que va s’édifier une nouvelle église, une belle église romane (…) », lit-on dans le « Journal de Charleroi » de l’époque.

Place Cousin Sacré Coeur

Les heurs et malheurs du Sacré-Cœur

Et pourtant, malgré toute la bonne volonté, les choses ne vont pas glisser sur le velours et nombreuses seront les péripéties qui vont entraver l’édification du lieu saint. La paroisse du Sacré-Cœur est finalement inaugurée le lundi 29 avril 1895. Mais tout n’allait pas être rose et violette désormais. L’église n’a ni deniers ni biens. Voici la description qu’en donne l’Abbé Jous dans son ouvrage : « L’air pénétrait de tous côtés, le pavé en brique s’effritait sous la marche et il s’en dégageait une poussière infecte. Le soleil faisait de l’édifice une serre et l’hiver on y grelottait de froid. »

Sa finition va prendre des années mais petit à petit, le profil du lieu de culte s’affirme. Même si c’est seulement en 1904 qu’on s’intéresse au parachèvement et à l’ameublement. La sculpture des chapiteaux des colonnes de l’église et le placement d’un plancher au 2e étage du clocher doivent encore être complétés. C’est le 17 juillet 1904 que les premières orgues sont placées. L’année suivante, la chaire de vérité en pierre bleue est intégralement réalisée par trente-deux élèves tailleurs de pierre, les meilleurs éléments issus de onze ateliers locaux. C’est la pièce maîtresse du lieu de culte : « La chaire de vérité de l’église du Sacré-Cœur est remarquable, non seulement par sa beauté, mais aussi parce qu’elle est l’œuvre de nombreux Écaussinnois. », écrit l’Abbé Léon Jous. Dessinée par Constant Sonneville, elle allait être réalisée par les ateliers d’apprentissage et mettre en relief l’excellence du travail des futurs artisans du cru. Cette œuvre est désormais préservée depuis juillet 2019, au Musée de la Pierre de Maffle.

En 1906, deux cloches (Juliette-Marie qui pèse 1.200 kilos et Blanche-Adèle-Olga-Pauline, 500 kilos) sont placées. D’année en année, des objets essentiels à la tenue des services vont compléter l’aménagement. En 1908, le grand autel dans le chœur trouve sa place. Chaque année verra l’apport d’instruments, de détails qui vont offrir à l’église son caractère unique : lutrin en bois de chêne, stalles et confessionnal en 1909 ; éclairage électrique, banc de communion, verrière, horloge du clocher, etc. en 1910 ; peinture de l’église, douze chandeliers, vitraux, tapis et fauteuils de chœur, crèche et les additions qui, au fil des années, améliorent le visage du temple. On raconte qu’un don débouche sur une guérison miraculeuse, en 1925. « (…) une statue de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus par un paroissien du Sacré-Coeur qui, devant subir une intervention chirurgicale importante fut, dit-il, guéri subitement après voir évoqué Sainte Thérèse », raconte l’Abbé Jous.

Son histoire est marquée par des heurs et malheurs. Comme les autres églises, les cloches seront subtilisées par l’occupant nazi. Deux des trois cloches seront ainsi réquisitionnées. Seule la petite dernière, Renée-Alice sera épargnée. Juliette-Marie et Blanche, elles, se tairont à tout jamais. Les habitants organisent même un convoi funèbre comme s’il s’agissait de personnes. Après tout, c’est ce qu’elles représentaient à l’époque, les cloches accompagnaient tous les événements importants de la vie humaine et appelaient les hommes à se rassembler pour la messe. À la Libération, Renée-Alice sonna pendant deux heures sans interruption. C’est en 1945 aussi que sera célébré le 50e anniversaire de la première messe et de la bénédiction du lieu.

Dix ans plus tard, deux nouvelles cloches sont consacrées : « La Paroissienne » (Marie-Joseph pour les intimes) et « La Fabricienne » (Lucienne-Alexandre). Les trois sœurs allaient unir leurs timbres dès le 28 janvier 1955. La foule s’amassa sur la Place Cousin pour entendre le concert et il paraît que beaucoup de paroissiens avaient les larmes aux yeux.

L’église connut des moments parfois étranges comme ce jour du printemps 1952 où des ostrogoths décidèrent de tirer à la carabine sur le coq qui, sous les coups, s’immobilisa. Réparé, il reprit sa place en janvier 1953 et fut flanqué d’un paratonnerre. Abîmées par l’enlèvement des cloches pendant la guerre et les travaux au clocher, les orgues seront restaurées et améliorées dans le courant des années 1950.

Désacralisée depuis 2018, l’église a désormais une nouvelle destinée. Laquelle ? Qui vivra verra. En attendant, son « sacré » cœur palpite toujours.